Tu avais les yeux bleus

Aussi bleu que les yeux de mon fils

 

Tu étais mon grand-père

Et tout ce que je sais de toi

Ce sont des silences partagés

 

Des croutes de pain qui craquent

Du sirop à la menthe

Le soleil brulant dans la poussière

La pluie fine sur la vigne

 

Tu ne disais jamais rien

Et lorsque tu parlais

Tu en disais encore moins

 

J’ai toujours cru que c’était ce que tu étais

 

Un homme à côté duquel on peut vivre

Sans jamais rien connaitre de lui

Un homme à côté duquel on peut vivre

Mais qui ne vit avec personne

 

Aujourd’hui

J’entends parfois parler de cette guerre

Cette guerre qui ne disait pas son nom

Cette guerre que tu as dû faire

 

Je me demande

Si ce n’était pas les cris et les coups de là-bas

Qui t’empêchaient d’entendre nos voix

 

Je me demande

Si ce n’était pas le roulement de lointaines explosions

Qui bloquait ton rire dans ta gorge

 

Je me demande

Si ces tâches brunes qui rampaient sur ta peau de vieillard

N’étaient pas des empreintes de ce désert brulant

 

Que s’est-il passé là-bas ?

Qu’as-tu vu ? Qu’as-tu fait ?

 

Je ne suis pas sure de vouloir le savoir

Je préfère continuer à croire

Que tu étais comme ça

Que ce n’était que le temps

Que la vie

 

Mais je ne peux pas oublier

Que j’avais un grand-père

Qui ne disait jamais rien

Et qui avait les yeux aussi bleus que ceux de mon fils